Dans la tapisserie vibrante de l’Église catholique, les saints servent de fils brillants, entrelaçant le divin et l’humain, le passé et le présent. Ils sont des modèles de foi intemporels, inspirant des générations par leur vertu héroïque et leur dévouement. Parmi ces figures lumineuses figure saint Charbel Makhlouf, un homme dont la vie offre de précieuses leçons pour la communauté catholique contemporaine.
Saint Charbel est né le 8 mai 1828 dans le paysage montagneux de la Bekaa Kafra, au Liban. Dès son plus jeune âge, il ressent un appel divin et rejoint finalement le monastère Notre-Dame du Liban à Mayfouq à l'âge de 23 ans. Plus tard, il est transféré au monastère Saint-Maron près de Beyrouth, où il continue à vivre une vie marquée par une ascétisme sévère et une profonde contemplation jusqu'à sa disparition paisible.
C'est lors de sa canonisation par le pape Paul VI, le 9 octobre 1977, que le monde saisit véritablement la profondeur de la sainteté de saint Charbel. L'homélie du Pape à cette occasion n'était pas seulement une reconnaissance de la sainteté de Charbel mais un cri de ralliement pour que les catholiques s'inspirent de sa vie. Comme l'a dit avec éloquence le Pape : « Dans un monde largement fasciné par la richesse et le confort, l'austérité de sa vie monastique, l'observance rigoureuse des conseils évangéliques et la puissance rayonnante de la sainteté vécue dans la simplicité... nous apparaissent comme une source de renouveau et d'espoir invincible.
Le premier aspect inspirant de la vie de saint Charbel réside dans son choix de pauvreté. Face à une époque en proie au matérialisme, Saint Charbel choisit une voie d'abnégation et de simplicité. Il nous rappelle, comme le disait le pape Paul VI, que « la pauvreté n'est pas un vain mot et que, comme la liberté et l'amour, elle prend sa source en Dieu ». La vie de saint Charbel nous appelle à nous concentrer sur notre richesse spirituelle et à nous détacher de la superficialité des possessions mondaines.
Deuxièmement, la dévotion de saint Charbel à la prière, au jeûne et à la contemplation constitue un témoignage inspirant du pouvoir transformateur de la foi. Dans un monde effréné par la communication numérique et la surcharge d’informations, sa vie invite les catholiques à faire une pause, à réfléchir et à s’engager dans un dialogue intime avec Dieu. Comme l'a souligné le Pape Paul VI, « Le moine silencieux et humble Charbel qui sort de l'oubli de sa montagne libanaise est, aux yeux des hommes d'aujourd'hui, l'homme de la pauvreté absolue, de l'humilité parfaite, l'homme de l'abandon total à Dieu, dans le silence de la prière permanente."
Enfin, la vie de saint Charbel illustre la beauté de l'obéissance, autre vertu prônée par l'enseignement catholique. Malgré les dures conditions monastiques, il respecta fidèlement ses engagements, devenant un phare d’obéissance et de foi. Il nous apprend à assumer nos devoirs, qu’ils soient laïques ou religieux, avec la même fidélité inébranlable.
En résumé, la vie de saint Charbel, telle qu'elle est bien résumée dans l'homélie du pape Paul VI, constitue un modèle inestimable pour les catholiques contemporains. Par son dévouement à la pauvreté, à la prière et à l’obéissance, il éclaire un chemin de croissance spirituelle et de dialogue constant avec Dieu. Alors que nous naviguons dans les complexités de nos vies modernes, puissions-nous continuer à nous inspirer de saint Charbel, en tournant notre cœur vers le céleste et en trouvant dans son exemple le courage de vivre notre foi avec audace et joie.
Veuillez noter qu'une traduction complète de l'homélie du pape Paul VI, telle que prononcée lors de la canonisation de saint Charbel, est fournie à la fin de cet article. Nous pensons que partager cette homélie cruciale dans son intégralité servira à améliorer la compréhension de nos lecteurs sur l'influence de saint Charbel et sa place au sein de la foi catholique. Nous vous invitons donc à rester avec nous à travers cette exploration de la vie de saint Charbel, sachant que les paroles directes du Pape Paul VI vous attendent à la fin de ce voyage éclairant.
CANONISATION DE CHARBEL MAKHLOUF
HOMÉLIE DU PAPE PAUL VI
dimanche 9 octobre 1977
Chers frères et chers fils,
L'Église toute entière, de l'Est à l'Ouest, est invitée aujourd'hui à une grande joie. Nos cœurs se tournent vers le Ciel, où nous savons désormais avec certitude que Saint Charbel Makhlouf est associé au bonheur incommensurable des Saints, à la lumière du Christ, louant et intercédant pour nous. Nos regards se tournent également vers l'endroit où il a vécu, vers la terre bien-aimée du Liban, dont nous avons le plaisir de saluer les représentants : Sa Béatitude le Patriarche Antoine Pierre Khoraiche, ainsi que nombre de ses Frères et Fils Maronites, représentants d'autres rites catholiques, orthodoxes et , sur le plan civil, la Délégation du Gouvernement et du Parlement libanais que nous remercions chaleureusement.
Votre pays, chers amis, a déjà été salué avec admiration par les poètes bibliques, impressionnés par la vigueur des cèdres devenus symboles de la vie des justes. Jésus lui-même y est venu récompenser la foi d'une femme syrophénicienne : annonciatrice du salut destiné à toutes les nations. Et ce Liban, lieu de rencontre entre l’Orient et l’Occident, est en effet devenu la patrie de populations diverses, qui se sont courageusement accrochées à leur terre et à leurs fécondes traditions religieuses. Les troubles des événements récents ont gravé de profondes lignes sur son visage et jeté une ombre sérieuse sur les chemins de la paix. Mais vous connaissez notre sympathie et notre affection constantes : avec vous, nous entretenons le ferme espoir d'une coopération renouvelée entre tous les fils du Liban.
Et aujourd’hui, nous vénérons ensemble un fils dont tout le Liban, et en particulier l’Église maronite, peut être fier : Charbel Makhlouf. Un fils très spécial, un artisan paradoxal de la paix, puisqu'il la cherchait loin du monde, en Dieu seul, dont il s'enivrait. Mais sa lampe, allumée au sommet de la montagne de son ermitage, au siècle dernier, brillait avec un éclat toujours plus grand, et l'unanimité se forma vite autour de sa sainteté. Nous l'avions déjà honoré en le déclarant bienheureux le 5 décembre 1965, à l'issue du Concile Vatican II. Aujourd'hui, en le canonisant et en étendant son culte à toute l'Église, nous présentons au monde entier ce vaillant moine, gloire de l'ordre maronite libanais et digne représentant des Églises orientales et de leur haute tradition monastique.
Il n’est pas nécessaire de raconter en détail sa biographie, par ailleurs assez simple. Il importe cependant de constater à quel point le milieu chrétien de son enfance a enraciné le jeune Youssef - tel était son nom de baptême - dans la foi et l'a préparé à sa vocation : une famille de paysans modestes, travailleurs, animés d'une foi robuste, familiers avec la prière liturgique du village et la dévotion à Marie ; des oncles voués à la vie érémitique, et surtout, une mère admirable, pieuse et mortifiée au point de jeûner continuellement. Ecoutez les paroles qui lui sont attribuées après la séparation d'avec son fils : « Si tu ne devenais pas une bonne religieuse, je te dirais : reviens à la maison. Mais maintenant je sais que le Seigneur te veut pour son service. Et dans mon chagrin d'être séparé de toi, je lui dis, résigné : Te bénir, mon enfant, et faire de toi un saint » (P. PAUL DAHER, Charbel, un homme ivre de Dieu, Monastère Saint Maron d'Annaya, Jbail Liban, 1965 , p.63). Les vertus du foyer et l'exemple des parents constituent toujours un milieu privilégié pour l'épanouissement des vocations.
Mais la vocation implique toujours une décision très personnelle du candidat, où l'appel irrésistible de la grâce interagit avec sa volonté tenace de devenir saint : « Quitte tout, viens ! Suis-moi ! (Ibid. p. 52; cf. Marc 10:32). A vingt-trois ans, notre futur saint a en effet quitté son village de Beka-Kafra et sa famille, pour ne plus y revenir. Ainsi, pour le novice devenu frère Charbel, débute une formation monastique rigoureuse, suivant la règle de l'Ordre libanais maronite de Saint-Antoine, au monastère Notre-Dame de Mayfouk, puis à celui, plus isolé, de Saint Maron à Annaya. Après sa profession solennelle, il poursuit des études théologiques à Saint Cyprien de Kfifane, est ordonné prêtre en 1859 et passe seize ans de vie communautaire parmi les moines d'Annaya et vingt-trois ans de vie complètement solitaire dans l'ermitage des Saints Pierre et Paul, dépendant d'Annaya. C'est là qu'il abandonna son âme à Dieu la veille de Noël 1898, à l'âge de soixante-dix ans.
Alors, que représente une telle vie ? La pratique assidue, poussée à l'extrême, des trois vœux religieux, se vivait dans le silence et la simplicité monastique : d'abord, la plus stricte pauvreté en termes de logement, de vêtements, et le seul repas quotidien frugal, un dur travail manuel dans le rude climat montagnard. ; une chasteté entourée d'une intransigeance légendaire ; et surtout, une obéissance totale à ses supérieurs et même à ses confrères moines, ainsi qu'aux règles des ermites, exprimant sa complète soumission à Dieu. Mais la clé de cette vie apparemment étrange est la recherche de la sainteté, c'est-à-dire la conformité la plus parfaite au Christ humble et pauvre, la communion quasi continue avec le Seigneur, la participation personnelle au sacrifice du Christ à travers la célébration fervente de la Messe, et une pénitence rigoureuse combinée à l'intercession pour les pécheurs. Bref, la recherche incessante de Dieu seul, caractéristique de la vie monastique, accentuée par la solitude de la vie érémitique.
Cette énumération, que les hagiographes savent illustrer de nombreux faits concrets, présente le visage d'une sainteté assez austère, n'est-ce pas ? Arrêtons-nous sur ce paradoxe qui laisse perplexe, voire irrite, le monde moderne. On peut encore accepter chez un homme comme Charbel Makhlouf un héroïsme extraordinaire, devant lequel on s'incline, surtout en reconnaissant sa fermeté hors norme. Mais n’est-ce pas « une folie aux yeux des hommes », comme l’a déjà exprimé l’auteur du Livre de la Sagesse ? Même certains chrétiens pourraient se demander : le Christ a-t-il réellement exigé un tel renoncement, lui dont la vie accueillante contrastait avec les austérités de Jean-Baptiste ? Pire encore, certains tenants de l'humanisme moderne ne soupçonneront-ils pas cette austérité inflexible de mépris, d'abus et de traumatisme des valeurs saines du corps et de l'amour, des relations amicales, de la liberté créatrice, de la vie en un mot ?
Raisonner ainsi, dans le cas de Charbel Makhlouf et de tant de ses confrères moines ou ermites depuis les débuts de l'Église, c'est démontrer un grave malentendu, comme s'il s'agissait simplement d'une performance humaine ; cela montre une certaine myopie face à une réalité bien plus profonde. Certes, l’équilibre humain ne doit pas être méprisé et, en tout cas, les supérieurs et l’Église doivent veiller à la prudence et à l’authenticité de telles expériences. Mais la prudence et l’équilibre humains ne sont pas des notions statiques, limitées aux éléments psychologiques les plus courants ou aux seules ressources humaines. C'est surtout oublier que le Christ lui-même a exprimé des exigences tout aussi brusques à l'égard de ceux qui seraient ses disciples : « Suivez-moi... et que les morts enterrent leurs morts » (Luc 9, 59-60). « Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » (Ibid. 14 :26). C'est aussi oublier, dans le domaine spirituel, la puissance de l'âme, pour laquelle cette austérité est avant tout un simple moyen, oublier l'amour de Dieu qui l'inspire, l'Absolu qui l'attire ; c'est ignorer la grâce du Christ qui la soutient et la fait participer au dynamisme de sa propre Vie. C'est finalement une méconnaissance des ressources de la vie spirituelle, capables de conduire à une profondeur, une vitalité, une maîtrise de l'être et un équilibre d'autant plus grands qu'ils n'ont pas été recherchés pour eux-mêmes : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice. , et le reste vous sera donné par surcroît » (Matthieu 6 : 32).
Et en effet, qui n’admirerait pas, chez Charbel Makhlouf, les aspects positifs que l’austérité, la mortification, l’obéissance, la chasteté et la solitude ont rendu possibles à un degré rarement atteint ? Pensez à sa liberté souveraine face aux difficultés ou aux passions de toutes sortes, à la qualité de sa vie intérieure, à l'élévation de sa prière, à son esprit d'adoration manifesté au cœur de la nature et surtout en présence du Saint-Sacrement, à son tendresse filiale pour la Vierge, et toutes ces merveilles promises dans les Béatitudes et accomplies littéralement chez notre saint : douceur, humilité, miséricorde, paix, joie, participation, même dans cette vie, à la puissance guérissante et convertissante du Christ. Bref, l'austérité, chez lui, le mettait sur le chemin de la sérénité parfaite, du vrai bonheur ; cela laissait une grande place au Saint-Esprit.
De plus, il est impressionnant de constater à quel point le peuple de Dieu ne s’est pas trompé sur ce point. Du vivant de Charbel Makhlouf, sa sainteté rayonnait, et ses compatriotes, chrétiens et non chrétiens, le vénéraient, affluaient vers lui comme médecin des âmes et des corps. Et depuis sa mort, la lumière brille encore plus au-dessus de son tombeau : combien de personnes, en quête de progrès spirituel, ou éloignées de Dieu, ou en détresse, continuent d'être fascinées par cet homme de Dieu, le priant avec ferveur, tandis que tant d’autres, soi-disant apôtres, n’ont laissé aucune trace, comme ceux mentionnés dans l’Écriture (Sagesse 5 : 10 ; Lettre à la messe).
En effet, le type de sainteté pratiqué par Charbel Makhlouf a un grand poids, non seulement pour la gloire de Dieu mais aussi pour la vitalité de l'Église. Certes, dans l'unique Corps mystique du Christ, comme le dit saint Paul (cf. Romains 12, 4-8), il existe des charismes nombreux et divers ; ils correspondent à des fonctions différentes dont chacune est indispensable. Nous avons besoin de bergers qui rassemblent le peuple de Dieu et le président avec sagesse au nom du Christ. Nous avons besoin de théologiens qui approfondissent la doctrine et d’un Magistère qui veille sur elle. Nous avons besoin d'évangélisateurs et de missionnaires qui portent la parole de Dieu sur toutes les routes du monde. Nous avons besoin de catéchistes qui soient des enseignants et des éducateurs de la foi compétents – tel est le but du Synode actuel. Nous avons besoin de personnes qui se consacrent directement à aider leurs frères et sœurs... Mais nous avons aussi besoin de personnes qui s'offrent comme victimes pour le salut du monde, dans une pénitence librement acceptée, dans une prière d'intercession incessante, comme Moïse sur la montagne, dans une recherche passionnée de l'Absolu, témoignant que Dieu mérite d'être adoré et aimé pour lui-même. Le style de vie de ces religieux, moines et ermites n'est pas proposé à tous comme un charisme imitable, mais dans sa forme la plus pure, de manière radicale, ils incarnent un esprit dont aucun disciple du Christ n'est exempté, ils remplissent une fonction sans laquelle l'Église ne peut s'en passer, ils rappellent un chemin salutaire pour tous.
Permettez-nous, en conclusion, de souligner l'intérêt particulier de la vocation érémitique aujourd'hui. Elle semble également connaître un certain regain de faveur, qui ne s'explique pas uniquement par le déclin de la société ou les contraintes qu'elle impose. Elle peut d'ailleurs prendre des formes adaptées, à condition qu'elle soit toujours menée avec discernement et obéissance.
Ce témoignage, loin d'être une survivance d'un passé révolu, nous paraît très important, pour notre monde comme pour notre Église.
Bénissons le Seigneur de nous avoir donné Saint Charbel Makhlouf pour raviver les forces de son Église par son exemple et sa prière. Puisse le nouveau saint continuer à exercer sa prodigieuse influence, non seulement au Liban mais aussi en Orient et dans toute l'Église ! Qu'il intercède pour nous, pauvres pécheurs, qui trop souvent n'osons pas risquer l'expérience des béatitudes qui conduisent à la joie parfaite ! Qu'il intercède pour ses frères de l'ordre libanais maronite et pour toute l'Église maronite, dont chacun connaît les mérites et les épreuves ! Qu'il intercède pour le pays bien-aimé du Liban, en l'aidant à surmonter les difficultés du moment, à panser les blessures encore fraîches et à marcher dans l'espérance ! Qu'il le soutienne et le guide sur le bon et juste chemin, comme nous le chanterons bientôt ! Que sa lumière brille au-dessus d'Annaya, unissant les hommes dans l'harmonie et les attirant vers Dieu, qu'il contemple désormais dans la béatitude éternelle ! Amen!